Origine des noms irlandais: le cas de Holland

Les noms de famille irlandais se sont fixés assez tôt dans l’histoire. Plusieurs clans (on dit « septs » en gaélique) font remonter leur nom avant l’an 1000, bien avant que les noms anglais ou français, par exemple, aient été fixés. Quand les Normands ont envahi l’Angleterre en 1066, les Irlandais avaient donc déjà un système de noms bien établi.

Par MARC DORÉ

À l’origine, les Irlandais portaient un nom qui se référait à un clan ou à un lieu. Ils se désignaient aussi par filiation : « fils de », « petit-fils de ». Dans le premier cas, on disait Mac (ou ses variantes : Mc, Mg ou M’); dans le second cas, O’. Ces deux préfixes sont des masculins ; au féminin, on dit Ni et Ui.

Ainsi Torbac MacGormain, un évêque qui succéda à saint Patrick vers les années 800, ne venait pas d’une famille MacGormain, mais était le fils d’un nommé Gormain.

Le préfixe Mac indique une provenance irlandaise

Pour les Irlandais, le fait que le monde extérieur associe le préfixe Mac aux Écossais est absurde. En fait, les Mac écossais sont d’origine irlandaise. Il est important de se rappeler que les différentes régions du Royaume-Uni ont vécu bien des bouleversements au cours des siècles. Des populations entières ont été déplacées pour assurer le contrôle des populations locales. L’Ulster est ainsi peuplé de colons écossais transplantés en Irlande par les Anglais pour contrôler l’Irlande. Durant ces siècles, des Irlandais se sont aussi établis en Angleterre et en Écosse. Les préfixes disparurent presque complètement d’Irlande aux 17e et 18e siècles. Ils sont revenus au 20e siècle, avec le mouvement d’indépendance du pays.

Par ailleurs, soumis à des invasions répétées, les Irlandais ont été assimilés ou fortement incités à modifier leurs noms ; ils ont dû aussi faire face à des fonctionnaires malveillants ou illettrés qui ont « traduit » les noms gaéliques en noms à l’apparence anglaise.

 

Le nom « Holland » : deux interprétations

Dans ce contexte, on peut trouver plusieurs origines au nom de famille Holland.

Au premier coup d’œil, il s’agit d’un nom anglais, qui existe d’ailleurs en Angleterre et qui désigne des gens vivant en pays montagneux : en vieil anglais, hoh = chaîne de montagnes + land = terre, pays. Il y a donc des Holland anglais parfaitement légitimes. Le fait que ce patronyme ressemble au nom de la province des Pays-Bas est dû au hasard. Le nom de la Hollande provient du moyen néerlandais Holtland désignant une « terre boisée » ( de holt : « bois », et de land : « terre » ).

Les Holland irlandais auraient eux été forcés de transformer leur nom de famille pour lui donner une allure anglaise ; il existe d’ailleurs 17 variantes du nom en Irlande parmi lesquels O’Holohan, Holian, Hyland, et évidemment Mulholland et Holland.

CARTE DU COMTÉ DE LONGFORD

En Irlande, le comté de provenance d’un nom est primordial ; encore aujourd’hui, les noms de famille se retrouvent dans les mêmes cantons qu’à l’origine. Selon les régions de provenance, il y a deux interprétations des origines du nom Holland.

O’Holohan (O hUallachain en gaélique) est le nom de deux « septs » situés dans les comtés d’Offaly et Thomond (qui correspondent aux comtés actuels de Clare et Limerick, et à des parties du comté de Tipperary). Plus tard, ces septs migrèrent vers le comté de Kilkenny. De nos jours, le patronyme est concentré là sous l’appellation Holohan, ainsi que dans la partie ouest du comté de Munster, sous l’appellation Houlihan. Dans le comté de Clare, plusieurs familles Houlian (le O’ est tombé en cours de route) adoptèrent le nom anglais de Holland.

Si on vient du comté de Limerick, il est possible que le nom Holland provienne du nom Mulholland, lui-même un dérivé anglicisé du nom gaélique O Maolchanann. Ce dernier patronyme commence par le O filiatif ; quant à Maolchanann, c’est un nom familial large qui signifie « adepte de saint Callan », ce saint étant une sorte de protecteur du clan. À noter que des Mulholland d’origine irlandaise, sont allés s’établir en Écosse, vers 1100, de sorte que 500 ans plus tard, des Mulholland écossais sont revenus en Irlande du Nord pour coloniser les six comtés de l’Ulster protestant. Un détail : ces Mulholland n’ont jamais laissé tomber leur préfixe Mul, contrairement aux Mulholland irlandais qui sont devenus des Holland.

Et les MacLaughlin…

Le patronyme MacLoughlin, aussi épelé MacLaughlin, est utilisé dans l’Irlande moderne comme la forme anglicisée de deux septs gaéliques totalement distincts, tous les deux de grande importance. L’un est de statut royal et ce n’est pas un patronyme Mac, mais un nom O’, soit O Maoilsheachlainn en gaélique qui, jusqu’à la fin du 17e siècle a été anglicisé sous la forme O’Melaghlin, avec des variantes comme MacLoughlin. On dit qu’il y aurait 400 façons d’écrire ce patronyme. L’autre origine est un clan baptisé Mac Lochlainn en gaélique.

Le clan écossais porte lui le nom de MacLachlan. L’ancêtre à l’origine du clan serait venu d’Irlande dans les années 1100. Selon la légende, il aurait épousé en Écosse une princesse norvégienne. Leur fils aurait été nommé Lachlan en souvenir du pays de sa mère, la Norvège, « pays des lacs », Lach Lan en gaélique. Selon une autre légende, Lach Lan était le nom donné en gaélique à la Scandinavie, pays des Vikings, qui avaient terrorisé la côte normande et les îles britanniques autour de l’an 1000.

Ce nom de famille serait l’un des plus répandus en Europe. Sous ses diverses graphies, le nom MacLaughlin est très répandu en Irlande, surtout dans le comté de Donegal, et le comté de Derry en Ulster. Il est aussi bien représenté dans les pays de peuplement britannique (Canada, États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande).

(Une première version ce texte a paru dans le Bulletin Doré, vol 6, no 1, sept. 2003; cette version révisée date de décembre 2017)

SOURCES

Irish Central.com

Wikipedia Les Irlando-Canadiens

L’ancêtre amérindienne Cécile Kaorate

Son nom apparaît dans la lignée maternelle de ma grand-mère Blanche Lizotte dite Lisette lors de son mariage avec Jean-Baptiste Gagnon. Elle est la petite-fille de Nicolas Peltier dit Marolles, marié successivement avec trois Indiennes du Domaine du Roy entre 1675 et 1721. Selon toute vraisemblance, Cécile Kaorate est la fille de l'une ou l'autre de deux demies-soeurs Peltier, la première Marie-Jeanne, fille de l'innue Madeleine Teg8achik, et Marie-Josephte, fille de l'algonquine Françoise 8ebechinok8e ; et elle aurait été conçue avec l'un ou l'autre des deux frères montagnais Kaorate, Charles et Thomas. L'imbroglio à propos de ses géniteurs tient au fait que le système de parenté (et de tabous matrimoniaux, donc) chez les Montagnais et les autres groupes autochtones fut assez différent de celui des Français pour que les missionnaires y aient vu une source de « scandale », et à l’absence de sources écrites sur les mariages et les naissances chez les Indiens. L’historienne Russel Bouchard, qui est aussi un descendant de Cécile Kaorate et qui a cherché à identifier les père et mère de cette jeune femme plus sauvagesse que métisse, en arrive même à envisager qu'il y ait eu deux Cécile Kaorate, nées des unions de Marie-Jeanne et de Thomas et de Marie-Josèphe et de Charles ; ou que les deux sœurs aient partagé la couche des deux frères, toujours selon les règles familiales en vigueur chez les Sauvages du Domaine du Roy. (Russel Bouchard, Naissance d’une nouvelle humanité au coeur du Québec, 2013, pp. 159-162)

On n'a pas d'image de Cécile Kaorate, mais on peut facilement l'imaginer sous les traits de cette jeune mère naskapie du milieu du 20e siècle

par MARC DORÉ

Cécile est née en 1722; elle s’est mariée à Jean-Baptiste Gagnon le 16 avril 1742, à Saint-Joachim. Elle avait 20 ans, lui 44; ils vivaient maritalement ensemble depuis deux ans et avaient déjà une fille, Charlotte. Selon certaines sources (le généalogiste Tanguay y fait allusion), Jean-Baptiste, dont la famille habitait à La Malbaie, était commis au poste de traite de Tadoussac, et donc en contact régulier avec les trappeurs amérindiens. Si Marie-Jeanne née en 1674 est la mère de Cécile, elle aurait eu 48 ans à la naissance de Cécile, ce qui est un exploit aujourd’hui, et qui aurait sans doute été un miracle à l’époque! La différence d’âge de Cécile avec Marie-Josephte née en 1697 est plus “normale”: 25 ans. Mais l’acte de mariage Cécile signé par le prêtre mentionne qu’elle est “montagnaise”, sans identifier ses parents, même si on sait que son père Kaorate était un Innu. Or si la mère de Marie-Jeanne est une Montagnaise, celle de Marie-Josephte est algonquine. Allez savoir dans ces conditions qui est la mère de qui!

Il  y a là un mystère qui restera tel, conclut Russel Bouchard, mais aussi une certitude : Cécile Kaorate est la petite-fille de Nicolas Peltier, métisse plus indienne que blanche.

Et comme l'imposait alors le déroulement de l'histoire à ces êtres nés de la rencontre de deux civilisations, et face aux deux voies du « blanchiment » et de l'« ensauvagement », Cécile Kaorate réintégra la lignée française de son grand-père Peltier en épousant Jean-Baptiste Gagnon, en 1742. Quatre de leurs enfants ont eux-mêmes eu des enfants, dont Geneviève dite Javotte, l'ancêtre des Blackburn du Saguenay-Lac-Saint-Jean-Charlevoix par son mariage avec l’Écossais Hugh Blackburn ; et Augustin, ancêtre des Gagnon de Couchepagane-Métabetchouan.

Les gènes amérindiens de Cécile continuent ainsi de se diffuser parmi leurs descendants, dont la famille de sa petite-fille à la cinquième génération, Blanche Lizotte, fille de Cécile Gagnon et épouse de Héraclius Doré.

Il est intéressant de noter que le prénom de Cécile Kaorate est revenu dans la lignée familiale de ses descendants Gagnon : la mère de Blanche s’appelait Cécile, comme son arrière-arrière-grand-mère, et sa fille aînée, née en 1920 et toujours vivante, s’appelle Cécile aussi. Selon les souvenirs recueillis auprès des enfants de Blanche, l’existence d’une ancêtre métisse était connue ; le fait que la mère de Blanche portait le même prénom que Cécile Kaorate est peut-être une indication que ce souvenir avait assez de valeur pour revivre.

 

LA DISPARITION DES PEUPLES AUTOCHTONES

Les guerres indiennes, les guerres iroquoises en fait, auxquelles nous avons fait allusion plus avant ont été un événement majeur dans la Vallée du Saint-Laurent et le Domaine du Roy au XVIIe siècle. Conjuguées avec les épidémies amenées par les Européens, elles auront raison de populations entières : on évalue que 90 pour cent des autochtones seront purement et simplement rayés de la carte avant la fin des années 1600. Les groupes survivants, physiquement, socialement et culturellement désarticulés aussi par la traite des fourrures dans laquelle ils s’étaient lancés pour commercer avec les Européens, passeront proches de l’extinction et devront grandement leur survie au métissage avec les quelques Français et Écossais qui prendront épouses parmi eux aux XVIIe et XVIIIe siècles.

SOURCES

Victor Tremblay, Ici ont passé… Le monument du Coteau du Portage 

Victor Tremblay, Le cas de Nicolas Peltier, in Saguenayensia, vol 7, no 2, mars-avril 1965, p. 26 ss.

Russel Bouchard, Otipemisiwak, Ils ont inventé l’Amérique, Chicoutimi, 2016

Russel Bouchard, Naissance d'une nouvelle humanité au coeur du Québec, Chicoutimi, 2013

Nicolas Peltier, coureur de bois

Nicolas Peltier (dit Marolles, dit Collin) est né le 2 mai 1649, à Sillery, près de Québec. Il est le dernier enfant - le huitième - de Nicolas Peltier et Jeanne Roussy (on voit aussi “de Voisy” comme matronyme). Nicolas père était un maître charpentier qu'on verra à l'oeuvre dans la construction de plusieurs bâtiments de la petite colonie française naissante. Il est originaire de la paroisse de Saint-Pierre-et-Saint-Paul-Gallardon, dans l'ancienne région française de la Beauce, près de la ville de Chartres.

par Marc Doré

Le couple Roussy-Peltier avait déjà deux garçons de 2 et 4 ans quand il est arrivé à Québec, en 1636 ; six autres enfants naîtront en Nouvelle-France. Sillery, où la famille a pris demeure et où les Jésuites ont installé la Mission Saint-Joseph en 1637, devient à cette époque une « réduction », un établissement supervisé par les autorités civiles et religieuses où s'installent des Indiens chassés de leurs contrées par les guerres iroquoises et les maladies amenées par les Européens avec qui ils ont été en contact depuis le XVIe siècle ; l’objectif des Jésuites est de sédentariser les Sauvages, comme on les appelait alors, pour assurer leur œuvre d'évangélisation.

À Québec, une plaque rend hommage à Nicolas Peltier père et à Jeanne de Voizy

S'y retrouveront bientôt des Montagnais, mais aussi des Algonquins,  des Malécites, des  Micmacs, des Abénaquis... et même les reliquats du peuple des Hurons, avant qu'ils ne soient dirigés vers l'Ancienne-Lorette.

Les Roussy-Peltier ont acquis une certaine notoriété dans la petite colonie incertaine du milieu des années 1600 ; « dans l'écume du commerce de l'eau de vie et des fourrures, on y faisait de bonnes affaires en famille, malgré tous les interdits royaux », comme l'écrit l'historienne Russel Bouchard dans son livre Naissance d'une nouvelle humanité au cœur du Québec (p. 150)

 

Le fils Nicolas naît en 1649, dernier de la fratrie de huit enfants. Élevé parmi les Indiens de Sillery, il deviendra un véritable coureur de bois, « un Français devenu Sauvage » comme l'écrira plus tard un ecclésiastique.  Avec trois compagnons, il obtient à l'automne 1672 un congé de traite signé de la main du gouverneur Frontenac, un permis en fait pour aller faire la traite des fourrures au Saguenay ; il est aussi autorisé à hiverner « au Lac Saint-Jean dit Pakouagamy ». Nicolas Peltier fera plusieurs séjours dans le Domaine du Roy au cours des années suivantes, et s’établit finalement à 183 milles au nord du lac Saint-Jean, près du lac Nicabau. Une carte de l’arpenteur J.L. Normandin tracée en 1732 indique la présence de “l’établissement de Mr Peltier, 1680”; ainsi que le poste du Roy, l’établissement français de 1690. Peltier passera toute sa vie adulte dans cette région, une cinquantaine d'années, à commercer avec les autochtones, entre  Tadoussac et la Côte Nord, Chicoutimi et Métabetchouan, et son établissement nordique, sur la route menant à la baie d’Hudson. Il est considéré comme le premier Blanc à y habiter de façon permanente ; il est aussi le fondateur du premier clan métis en Nouvelle-France.

Outre ses gènes, Nicolas Peltier a laissé des traces au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Près de 300 ans plus tard, son nom est associé avec un lieu géographique connu, l’Anse-à-Peltier, sur la rive nord du Saguenay, où il vécut semble-t-il quelques années. Ce lieu fréquenté depuis longtemps par les Indiens, avant Peltier, est situé aux limites de Saint-Fulgence, là où le Saguenay tourne abruptement vers le sud et la baie des Ha! Ha!

 

La chapelle de Chicoutimi, au Coteau du Portage

La rivière Chicoutimi au pied du barrage du lac Kénogami. C'est par cette route fluviale que se faisait la traite des fourrures vers le lac Saint-Jean et plus au nord encore.

Selon Russel Bouchard, les restes de Peltier, qui était enterré depuis son décès, le 12 février 1729, dans le cimetière du vieux poste de traite de Chicoutimi avec ceux des Indiens morts près de la mission catholique, ont été transférés en octobre 1879 dans une fosse commune du cimetière Saint-François-Xavier.

Une plaque commémorative inaugurée le 24 juin 1937 à l’initiative de la Société historique du Saguenay et de la Société Saint-Jean-Baptiste au lieu dit du “ Coteau du Portage “, dans les environs du poste de traite. Pendant 200 ans, ce lieu fut le passage obligé des missionnaires, coureurs de bois, marchands, fonctionnaires coloniaux qui se rendaient au lac Saint-Jean, et plus au nord jusqu’à la mer du Nord, la baie d’Hudson. La plaque porte les noms des plus connus de ces visiteurs, dont celui de Nicolas Peltier parmi plusieurs personnages connus de l’histoire de la Nouvelle-France et du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

 

La plaque historique du Coteau du Portage, avec le nom de Nicolas Peltier parmi des personnages importants de l'histoire de la Nouvelle-France.

LE DOMAINE DU ROY

Le Domaine du Roy est un immense territoire qui s'étendait au nord de l'estuaire du Saint-Laurent, entre La Malbaie et Sept-Îles en remontant vers le nord par le Saguenay, le lac Saint-Jean et ses affluents jusqu'au lac Mistassini et à la ligne de partage des eaux vers la baie James. Le roi de France se l’était réservé, et son accès était interdit aux colons qui venaient s’établir en Nouvelle-France. C'était le pays des Montagnais et, plus au nord, des Cris. On y rencontre aussi, au fur et à mesure du développement des épidémies, des guerres iroquoises et de l'éclatement de la culture et du mode de vie autochtones, des Algonquins, des Hurons, des Malécites, des Abénakis, des Micmacs. Durant la première moitié du XVIIe siècle, c'est à Tadoussac que se fait l'essentiel du commerce des fourrures ; mais l'évolution de la traite et la rarification de la ressource amènent  l'ouverture de postes de traite d'abord à Chicoutimi, puis à Métabetchouan, et ensuite à Nicouba, près du lac Ashuapmushuan et de la rivière du même nom dans laquelle il se déverse. Cette route fluviale reliait Tadoussac à la baie James; bien connue des populations autochtones, elle fut utilisée par les coureurs de bois jusqu'au XIXe siècle.

LE PREMIER CLAN MÉTIS

Pour son premier hiver dans le Domaine du Roy, Nicolas Peltier s'installe à l’automne 1672 sur la Belle-Rivière, à la fin de la route fluviale menant de Chicoutimi au lac Saint-Jean par la rivière Chicoutimi et le lac Kénogami, puis par le lac Kénogamichiche et la Belle-Rivière, qui se jette dans le lac Saint-Jean. Il s'y mettra en couple rapidement, « à la mode du pays », avec une Montagnaise rencontrée sur place, Madeleine Tego8chik ; le missionnaire bénira leur union au début de l’été suivant, le 22 juin 1673. Le couple aura une fille, Marie-Jeanne, née en 1674 et baptisée le 4 janvier 1675, qui sera élevée à Sorel, à l'embouchure de la rivière Richelieu où réside la mère de Marolles à l'époque. Au moment de son mariage religieux, Nicolas Peltier s'était en effet engagé à élever ses enfants « dans les mœurs et la langue française ».

Madeleine Teg8chik est la fille de Charles Tekouerimat, choisi grand chef de Sillery en 1669 qui déménagea ensuite à Chicoutimi en 1672 (sans doute en même temps que Nicolas Peltier, son futur gendre) ; il n'exerça son influence sur la communauté autochtone de Tadoussac et la traite des fourrures que durant quelques années, puisqu'il mourut en 1675.

Marie-Jeanne semble être la seule enfant de Nicolas et Madeleine ; cette dernière en effet mourut subitement durant l'hiver 1677 et fut inhumée chrétiennement au Lac-Saint-Jean par le missionnaire visiteur.

Nicolas Peltier se remaria deux mois plus tard à la mission de Métabetchouan, avec Françoise 8ebechinok8e, une Algonquine. De leur union naîtront au moins 6 enfants ; certains historiens-chercheurs parlent de 8 et même 10. Pour nos besoins, parmi ces enfants retenons les noms de Charles dit « le Vieux », qui prendra éventuellement la suite des affaires de son père ; d'une autre Marie-Jeanne (deuxième du nom) née en décembre 1687 et décédée à Québec le 9 janvier 1702, à 15 ans, ce qui semble l'exclure de la chaîne des naissances ; et de Marie-Josèphe (Marie-Josephte) baptisée à la chapelle de Chicoutimi en 1698.

Le peintre Cornelius Krieghoff a illustré le trajet des Indiens et coureurs de bois vers le lac Saint-Jean.

La chapelle de Tadoussac fait partie du paysage de la côte du Saint-Laurent depuis plus de 400 ans.

Jeanne Dufossé, fille du Roy et mère des Doré

Jeanne Dufossé était la fille de feu Vincent et de Noelle Desnoyers, de la paroisse Saint-Léger, ville et évêché d’Évreux, en Normandie. Cette Normande s’embarque au port normand de Dieppe sur le Saint-Jean-Baptiste au mois d’avril 1669. Le navire fait escale à Rouen, puis à La Rochelle, qu’il quitte le 15-05-1669. L’arrivée à Québec a lieu le 30-06-1669. Il se peut que ce soit le même navire qui a amené Louis Doré à Québec en 1666, mais des doutes subsistent à ce sujet car il y a eu au moins deux navires venus en Nouvelle-France à l'époque portant ce nom; un Saint-Jean-Baptiste a été incendié en 1667 et complètement détruit.

Par Marc Doré

Les biens qu’apportent les Filles du Roy

En plus des vêtements, chacune apportait avec elle un coffre (voir image jointe), une coiffe, un mouchoir de taffetas, un ruban à souliers, cent aiguilles, un peigne, un fil blanc, une paire de bas, une paire de gants, une paire de ciseaux, deux couteaux, un millier d'épingles, un bonnet, quatre lacets et deux livres en argent sonnant. (Source : Musée de la civilisation, Fonds d'archives du Séminaire de Québec)

On ne possède pas le baptistère de Jeanne Dufossé, mais selon les informations données (par elle, sans doute) au notaire pour son contrat de mariage, elle est née vers 1639. Elle apporte des biens estimés à 150 livres et un don du Roy de 50 livres.

Jeanne Dufossé signe successivement trois contrats de mariage : 

  • le 07-10-1669 avec André Gariteau. Annulé
  • le 15-04-1670 avec Pierre Buteau. Annulé
  • le 09-08-1670 avec Louis Doré. Leur mariage religieux a lieu le 01-09-1670 à Notre-Dame de Québec

Ella a donc 30 ans quand elle arrive au Canada, 31 ans quand elle commence sa famille avec Louis Doré, né vers 1636 au Vivier-Jussau en Angoumois, au pays protestant de l’Ouest du royaume de France. Le ménage s’établit à Saint-Augustin, dans la région de Portneuf à l’ouest de Québec. Six enfants y naîtront .

Jeanne décède le 07-11-1698 (59 ans), à Neuville ; elle n’est jamais retournée en France. Louis était décédé deux ans plus tôt, le 09-11-1696 (60 ans). Leur fils aîné, Pierre-Louis, né le 26 août 1671, se mariera le 24 novembre 1699 avec Catherine Coquin, après le décès de sa mère. Ce couple aura 16 enfants et est à l’origine de la majorité des descendants Doré; son jeune frère Étienne, marié à Marie-Charlotte Morisset en 1723, aura 9 enfants et contribuera aussi l'élargissement du patronyme Doré. Mais Jeanne Dufossé n’aura jamais eu connaissance de l’immense descendance qui la suivra.

Finalement, on ne sait pas grand-chose de Jeanne. Elle était orpheline, comme la majorité des Filles du Roy, dont elle faisait partie. Elle était sans doute analphabète, comme Louis son mari, d’ailleurs, puisque les contrats de mariage qu’elle a conclus indiquent qu’elle ne sait pas signer, comme les trois-quarts des Filles du Roy. On n’est même pas certain de l’orthographe de son nom : on trouve aussi bien, selon les documents, Dufossé, Des Fossés, en un ou deux mots, ou Fossé simplement et même Fossey.

À la fin du XVIIe siècle, la langue française, la langue de Paris et de sa région, est en train d’établir sa suprématie dans le royaume; dans les colonies, on veut aussi que le français parisien domine. 

Sur une carte de la fin du XVIIe siècle, la terre d'origine de Louis Doré et Jeanne Dufossé est clairement identifiée.

Sans doute qu’une jeune Normande comme Jeanne parle une langue proche de celle de Paris : Évreux, d’où elle provient, est située à une centaine de kilomètres de la capitale et se trouve dans sa zone d’influence directe. Les autorités royales et coloniales, qui programment l’émigration des filles du Roy vers le Canada, ont cherché à sélectionner des femmes culturellement francophones. 

Ce n’est pas le cas de ceux qui vont devenir leurs maris, dont l’origine est plus diverse. Ainsi, le futur mari de Jeanne Dufossé, Louis Doré, originaire de l’Ouest, parlait sans doute le patois saintongeois, une parlure localisée entre les langues du Nord (langues d’oil) et les langues du Sud (langues d’oc).

Environ 770 immigrantes regroupées sous le vocable Filles du Roy sont arrivées au Canada entre 1663 et 1673 inclusivement, dont presque la moitié sont débarquées en 1669, 1670 et 1671. Ces femmes sont principalement des urbaines (8 sur 10) et proviennent de Paris, Rouen et La Rochelle. On pense qu’elles venaient en grande majorité d’un milieu très humble puisque leur origine sociale, défini par la profession du père, n’est pas mentionnée dans 75% des cas.

Dans 80% des cas, les filles du Roy se marient dans les cinq mois après l’arrivée du navire. En très grande majorité, elles épousent des Français récemment arrivés (et pas des « Canadiens » nés ici). Une minorité de femmes annule un premier contrat de mariage, quelques-unes un second. Seulement 6, dont Jeanne Dufossé, signent un 3e contrat et se marient finalement avec le signataire.

À 30 ans, Jeanne Dufossé est âgée, dans ce contexte de filles et femmes qui migrent en Nouvelle-France pour trouver mari : l’âge moyen des Filles du Roy est de 24 ans. On peut penser qu’elle est « difficile » à marier, mais les conditions sévères de sélection rendent cette explication peu plausible :  les filles du Roy doivent être âgées entre 16 et 40 ans, et n'être « point folles » ni « estropiées » . On choisit en France « de jeunes villageoises n'ayant rien de rebutant à l'extérieur et assez robustes pour résister au climat et à la culture de la terre ». L’âge légal pour le mariage des filles était de 12 ans à l’époque.

On peut aussi penser que Jeanne a les moyens de faire un choix qui lui convienne totalement et qu’elle peut diriger sa destinée.

Le salaire annuel en colonie dans la deuxième partie du XVIIe siècle varie selon les métiers de 60 livres pour un tailleur à 150 livres pour un chirurgien. Et quelle est la valeur des biens ? Au tout début du XVIIIe siècle, une vache vaut 50 livres ; un cheval de 40 à 100 livres, selon ses performances ; un mouton 5 livres, un cochon 15 livres.

Ceci donne une idée de la valeur économique d’une fille du Roy comme Jeanne Dufossé arrivée avec des biens de 150 livres et une dot royale de 50 livres. Sur le marché matrimonial, elle est en mesure de choisir son homme, malgré les pressions de l’administration coloniale et de l’Église locale pour qu’elle se marie rapidement.

Par contre, sa « valeur matrimoniale » est peut-être plus basse, car à 30 ans, les possibilités qu’elle ait une famille nombreuse (ce sera le cas pour plusieurs filles du Roy) sont réduites. Jeanne aura quand même six enfants avec Louis Doré, une famille normale pour l’époque.

La paroisse de Saint-Léger où Jeanne aurait été baptisée, n’existe plus, et l’église a été détruite. Par contre, une autre église qu’elle a peut-être fréquentée à l’époque existe encore. En plus de la cathédrale gothique Notre-Dame (dont la finalisation des travaux date du début du XVIIe siècle), l’abbatiale Saint-Taurin est un ancien monastère fondé au IVe siècle par le premier évêque d’Évreux, saint Taurin. Il s’agit d’une église se style roman avec des ajouts gothique et Renaissance. Le nom de Saint-Léger continue d’exister à Évreux , un quartier de la commune le portant désormais.

À Paris et à Québec, des plaques commémoratives rendent hommage aux quelque 770 Filles du Roy, dont on peut suivre la trace chez une grande partie des descendants des colons français du XVIIe siècle en Nouvelle-France.

Pour en savoir plus

Sur les Filles du Roy :

Yves Landry, Les Filles du roi au XVIIe siècle, Orphelines en France pionnières au Canada, suivi d’un Répertoire biographique des Filles du roi, Leméac, Montréal, 1992, 436 p.

On peut aussi écouter une entrevue d'une dizaine de minutes d'Yves Landry mise en ligne le 31-07-2013

Sur l’économie et la société coloniales au XVIIe siècle :

Louise Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au XVIIe siècle, Boréal Compact, 1988, 532 p.

Pour écouter les différents patois parlés dans la France du XVIIe siècle : Atlas sonore des langues régionales de France 

La liste des engagés sur le « Saint-Jean-Baptiste »

Le Saint-Jean-Baptiste de Dieppe a quitté le port de La Rochelle le 13 avril 1666 et est arrivé a Québec le 11 août 1666.

35 engagés

Bardien, Louis

Bidaux, Pierre

Boillon, Pierre

Boisson, Philippe

Boudault, Jean

Caron, François

Chartier, Paul

Charuet, Jean

Chérault, Louis

Chevalier, Estienne

De Laffont, Pierre

Doré, Louis

Doré, Gabriel

Duboys, Jean

Du Marin, Michel

Du Nault, François

Forault, André

Forget, Jean

Frelcheux, Louis

Giguer, Jean

Grenier, Michel

Leloudon, Jean

Le Ché, François

Leprince, Jacques

Leurton, Estienne

Morin, Jean

Pitran, Jean

Quinquel, Vincent

Rabiet, Agelye

Rodier, Louis

Roger, Michel

Tessier, Jacques

Tripot, Pierre

1 prêtre

Richard, André

38 membres d'équipage sous les ordres du capitaine Pierre Fillye

Ascendance de Jean Doré, 39e maire de Montréal

Voici l’ascendance de l'ancien maire de Montréal, décédé en 2015 d’un cancer du pancréas. Il avait 70 ans.

0 - Pierre Doré & Hilaire Fergé (Le Vivier-Jusseau, Saintonge, France)

Louis Doré I Jeanne Dufossé
mariage 01.09.1670, Notre-Dame de Québec

Pierre-Louis Doré II Catherine Coquin
m. 24.11.1699, Neuville

Louis Doré III Charlotte Gingras
m. 09.01.1730, Neuville

Étienne Doré IV Marie-Louise Coron
m. 08.04.1766, Sainte-Rose de Laval (île Jésus)

Étienne Doré V Marie-Josephte Poirier
m. 06.02.1792, Saint-Eustache

Octave Doré VI Anastasie Leclerc
m. 23.06.1840, Sainte-Thérèse-de-Blainville

Cléophas Doré VII Angélique Daoust
m. ~1875,  Hull

André Doré VIII Laurette Garneau
m. 23.04.1906, Notre-Dame de Québec

Jean Doré IX Thérèse Lauzé
m. 16.09.1939, Très-Saint-Nom-de-Jésus, Montréal

Jean Doré X Christiane Sauvé
n. 12.12.1944, d. 15.06.2015 Montréal, m. 23.05.1986, Saint-Jérôme

XI

Amélie (n. 1974), Magali (n. 1986)

Le premier Doré débarquait à Québec il y a 348 ans

Il y a 348 ans ces jours-ci, Louis Doré, le premier de ce nom à s'établir en Nouvelle-France, arrivait à Québec après un long périple maritime de trois mois. Embarqué à La Rochelle le 17 mai sur le Saint-Jean-Baptiste, il débarque à Québec le 11 août 1666. Il était originaire du Vivier-Jusseau, aujourd'hui inclus dans la commune de Chives, en Charentes-Maritime (anciennes régions Poitou et Saintonge). Il obtient en 1669 une concession dans la seigneurie de Maures, où il passera sa vie. En 1670, il épouse une orpheline «Fille du Roy», Jeanne Dufossé, originaire d'Évreux en Normandie. Ils auront six enfants, dont des descendants habitent encore dans cette région située à l'ouest de Québec (Saint-Augustin-de-Desmaures, Neuville).