Jeanne Dufossé, fille du Roy et mère des Doré
Jeanne Dufossé était la fille de feu Vincent et de Noelle Desnoyers, de la paroisse Saint-Léger, ville et évêché d’Évreux, en Normandie. Cette Normande s’embarque au port normand de Dieppe sur le Saint-Jean-Baptiste au mois d’avril 1669. Le navire fait escale à Rouen, puis à La Rochelle, qu’il quitte le 15-05-1669. L’arrivée à Québec a lieu le 30-06-1669. Il se peut que ce soit le même navire qui a amené Louis Doré à Québec en 1666, mais des doutes subsistent à ce sujet car il y a eu au moins deux navires venus en Nouvelle-France à l'époque portant ce nom; un Saint-Jean-Baptiste a été incendié en 1667 et complètement détruit.
Par Marc Doré
Les biens qu’apportent les Filles du Roy
En plus des vêtements, chacune apportait avec elle un coffre (voir image jointe), une coiffe, un mouchoir de taffetas, un ruban à souliers, cent aiguilles, un peigne, un fil blanc, une paire de bas, une paire de gants, une paire de ciseaux, deux couteaux, un millier d'épingles, un bonnet, quatre lacets et deux livres en argent sonnant. (Source : Musée de la civilisation, Fonds d'archives du Séminaire de Québec)
On ne possède pas le baptistère de Jeanne Dufossé, mais selon les informations données (par elle, sans doute) au notaire pour son contrat de mariage, elle est née vers 1639. Elle apporte des biens estimés à 150 livres et un don du Roy de 50 livres.
Jeanne Dufossé signe successivement trois contrats de mariage :
- le 07-10-1669 avec André Gariteau. Annulé
- le 15-04-1670 avec Pierre Buteau. Annulé
- le 09-08-1670 avec Louis Doré. Leur mariage religieux a lieu le 01-09-1670 à Notre-Dame de Québec
Ella a donc 30 ans quand elle arrive au Canada, 31 ans quand elle commence sa famille avec Louis Doré, né vers 1636 au Vivier-Jussau en Angoumois, au pays protestant de l’Ouest du royaume de France. Le ménage s’établit à Saint-Augustin, dans la région de Portneuf à l’ouest de Québec. Six enfants y naîtront .
Jeanne décède le 07-11-1698 (59 ans), à Neuville ; elle n’est jamais retournée en France. Louis était décédé deux ans plus tôt, le 09-11-1696 (60 ans). Leur fils aîné, Pierre-Louis, né le 26 août 1671, se mariera le 24 novembre 1699 avec Catherine Coquin, après le décès de sa mère. Ce couple aura 16 enfants et est à l’origine de la majorité des descendants Doré; son jeune frère Étienne, marié à Marie-Charlotte Morisset en 1723, aura 9 enfants et contribuera aussi l'élargissement du patronyme Doré. Mais Jeanne Dufossé n’aura jamais eu connaissance de l’immense descendance qui la suivra.
Finalement, on ne sait pas grand-chose de Jeanne. Elle était orpheline, comme la majorité des Filles du Roy, dont elle faisait partie. Elle était sans doute analphabète, comme Louis son mari, d’ailleurs, puisque les contrats de mariage qu’elle a conclus indiquent qu’elle ne sait pas signer, comme les trois-quarts des Filles du Roy. On n’est même pas certain de l’orthographe de son nom : on trouve aussi bien, selon les documents, Dufossé, Des Fossés, en un ou deux mots, ou Fossé simplement et même Fossey.
À la fin du XVIIe siècle, la langue française, la langue de Paris et de sa région, est en train d’établir sa suprématie dans le royaume; dans les colonies, on veut aussi que le français parisien domine.
Sans doute qu’une jeune Normande comme Jeanne parle une langue proche de celle de Paris : Évreux, d’où elle provient, est située à une centaine de kilomètres de la capitale et se trouve dans sa zone d’influence directe. Les autorités royales et coloniales, qui programment l’émigration des filles du Roy vers le Canada, ont cherché à sélectionner des femmes culturellement francophones.
Ce n’est pas le cas de ceux qui vont devenir leurs maris, dont l’origine est plus diverse. Ainsi, le futur mari de Jeanne Dufossé, Louis Doré, originaire de l’Ouest, parlait sans doute le patois saintongeois, une parlure localisée entre les langues du Nord (langues d’oil) et les langues du Sud (langues d’oc).
Environ 770 immigrantes regroupées sous le vocable Filles du Roy sont arrivées au Canada entre 1663 et 1673 inclusivement, dont presque la moitié sont débarquées en 1669, 1670 et 1671. Ces femmes sont principalement des urbaines (8 sur 10) et proviennent de Paris, Rouen et La Rochelle. On pense qu’elles venaient en grande majorité d’un milieu très humble puisque leur origine sociale, défini par la profession du père, n’est pas mentionnée dans 75% des cas.
Dans 80% des cas, les filles du Roy se marient dans les cinq mois après l’arrivée du navire. En très grande majorité, elles épousent des Français récemment arrivés (et pas des « Canadiens » nés ici). Une minorité de femmes annule un premier contrat de mariage, quelques-unes un second. Seulement 6, dont Jeanne Dufossé, signent un 3e contrat et se marient finalement avec le signataire.
À 30 ans, Jeanne Dufossé est âgée, dans ce contexte de filles et femmes qui migrent en Nouvelle-France pour trouver mari : l’âge moyen des Filles du Roy est de 24 ans. On peut penser qu’elle est « difficile » à marier, mais les conditions sévères de sélection rendent cette explication peu plausible : les filles du Roy doivent être âgées entre 16 et 40 ans, et n'être « point folles » ni « estropiées » . On choisit en France « de jeunes villageoises n'ayant rien de rebutant à l'extérieur et assez robustes pour résister au climat et à la culture de la terre ». L’âge légal pour le mariage des filles était de 12 ans à l’époque.
On peut aussi penser que Jeanne a les moyens de faire un choix qui lui convienne totalement et qu’elle peut diriger sa destinée.
Le salaire annuel en colonie dans la deuxième partie du XVIIe siècle varie selon les métiers de 60 livres pour un tailleur à 150 livres pour un chirurgien. Et quelle est la valeur des biens ? Au tout début du XVIIIe siècle, une vache vaut 50 livres ; un cheval de 40 à 100 livres, selon ses performances ; un mouton 5 livres, un cochon 15 livres.
Ceci donne une idée de la valeur économique d’une fille du Roy comme Jeanne Dufossé arrivée avec des biens de 150 livres et une dot royale de 50 livres. Sur le marché matrimonial, elle est en mesure de choisir son homme, malgré les pressions de l’administration coloniale et de l’Église locale pour qu’elle se marie rapidement.
Par contre, sa « valeur matrimoniale » est peut-être plus basse, car à 30 ans, les possibilités qu’elle ait une famille nombreuse (ce sera le cas pour plusieurs filles du Roy) sont réduites. Jeanne aura quand même six enfants avec Louis Doré, une famille normale pour l’époque.
La paroisse de Saint-Léger où Jeanne aurait été baptisée, n’existe plus, et l’église a été détruite. Par contre, une autre église qu’elle a peut-être fréquentée à l’époque existe encore. En plus de la cathédrale gothique Notre-Dame (dont la finalisation des travaux date du début du XVIIe siècle), l’abbatiale Saint-Taurin est un ancien monastère fondé au IVe siècle par le premier évêque d’Évreux, saint Taurin. Il s’agit d’une église se style roman avec des ajouts gothique et Renaissance. Le nom de Saint-Léger continue d’exister à Évreux , un quartier de la commune le portant désormais.
À Paris et à Québec, des plaques commémoratives rendent hommage aux quelque 770 Filles du Roy, dont on peut suivre la trace chez une grande partie des descendants des colons français du XVIIe siècle en Nouvelle-France.
Pour en savoir plus
Sur les Filles du Roy :
Yves Landry, Les Filles du roi au XVIIe siècle, Orphelines en France pionnières au Canada, suivi d’un Répertoire biographique des Filles du roi, Leméac, Montréal, 1992, 436 p.
On peut aussi écouter une entrevue d'une dizaine de minutes d'Yves Landry mise en ligne le 31-07-2013
Sur l’économie et la société coloniales au XVIIe siècle :
Louise Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au XVIIe siècle, Boréal Compact, 1988, 532 p.
Pour écouter les différents patois parlés dans la France du XVIIe siècle : Atlas sonore des langues régionales de France