La lente migration des Lizotte
L’ancêtre à l’origine de tous les Lizotte d’Amérique se nommait Guillaume Lisot; ce sont ses descendants qui ont répandu la forme « Lizotte » ainsi qu'une liste impressionnante de formes: Lizot, Lyzot, Lisote, Lisotte, Lisette, Lizette. Le patronyme de Guillaume s’écrit parfois Lisot ou Lissot et on trouve dans des documents du 19e siècle des Lisote, avec « s » et un seul « t ». Le nom Lizotte semble un diminutif du prénom Élise ou Élisabeth, tout comme les variantes Lizot, Liset, Lizet. C’est un nom très rare en France, selon le site spécialisé Geneanet.
par Marc Doré
Guillaume Lizot est arrivé à Québec après 1660, en 1662 selon certaines sources. Il avait alors environ 19 ans. Il était né vers 1643, le fils de Robert Lizot et Catherine Joanne, dans la paroisse de Saint-Pierre-la-Gravele, à Lisieux, dans la région du Calvados en Normandie. Il avait signé un contrat de travail de 3 à 5 ans avec Noel Langlois, à Beauport. À la fin de son contrat d’engagé, il décida de rester en Nouvelle-France et ne retourna jamais dans son pays.
On sait qu’il savait signer : voici sa signature, qui lui donne l’air assuré d’un homme doté d'une certaine instruction. Ses descendants vont perdre cette connaissance puisque rapidement les registres paroissiaux des naissances, mariages et décès de la famille porteront le plus souvent l’infamante phrase « ne sachant signer ». Il signait, semble-t-il, Lizzot, et faisait suivre son nom d'une fioriture plutôt élégante.
En 1665, il obtint une terre de Jean Pelletier, dont il épousera la fille Anne Pelletier alors âgée de 13 ans, en 1670. Deux enfants naissent à Beauport : Françoise en 1672 et Nicolas Claude en 1674. La famille va ensuite s’installer près de Rivière-Ouelle, à Grande-Anse, qui deviendra éventuellement Sainte-Anne-de-la-Pocatière; sept autres enfants y naîtront à partir de 1675.
La famille Lizotte fait partie de la dizaine de familles qui sont à l’origine de ce coin de pays. Elle demeurera dans ce secteur pendant environ un siècle.
Que Phips se le tienne pour dit !
Les Lizotte, le père, Guillaume, son fils de 16 ans Nicolas et sa fille Françoise, 18 ans, ont été impliqués dans un événement bien connu de l’histoire de la Nouvelle-France qui a eu des répercussions dans leur petit coin de pays.
En 1690, l’amiral bostonnais Charles William Phips, à la tête d’une flotte imposante (on parle d’une trentaine de navires et de 2000 hommes) remonte le Saint-Laurent avec l’objectif de détruire Québec et d’expulser les Français du pays. Rendu devant Québec dont il fait le siège, c’est ce Phips qui recevra du gouverneur Frontenac cette fin de non-recevoir à une demande de reddition : « Allez dire à votre maître que je lui répondrai par la bouche de mes canons! »
Ce qu'on sait moins, c'est qu'un groupe de Bostonnais qui faisaient partie de l'expédition avait décidé, en cours de route, de descendre à terre, en chaloupes, à la Rivière-Ouelle pour s'approvisionner en eau fraîche. On suivait, chez les colons français éparpillés le long du fleuve, l'avancement de cette expédition et c'est bien préparés et menés, semble-t-il, par leur curé qu'une quarantaine de colons, avec leurs femmes et leurs enfants les plus âgés, attendirent en embuscade sur la rive les envahisseurs anglais. Dès qu'ils eurent mis pied à terre, une pluie de balles et d'autres projectiles s'abattirent sur eux, les obligeant à rembarquer dans la confusion. Le combat fit plusieurs morts et blessés chez les Bostonnais, aucun parmi la petite troupe locale. On peut lire cette anecdote (un peu romancée, peut-être?) ici et là. Certaines sources ajoutent aux noms des colons et de leurs fils, ceux de leurs femmes et filles, qui n'étaient pas manchotes, rappellent-elles; elles estiment également que les défenseurs de la Rivière-Ouelle étaient plus nombreux, et que la liste "officielle" qui a cours depuis toujours comprend des personnes qui n'étaient pas présentes lors de l'escarmouche.
À partir de la cinquième génération, les Lizotte commencent à quitter la région de Rivière-Ouelle, vraisemblablement parce qu’il n’y a plus de terres dans cette région pour accueillir les enfants des familles trop nombreuses. C’est aussi l’époque où les enfants sans avenir économique des ruraux canadiens-français commencent à émigrer vers les États-Unis, et qu’un mouvement de colonisation des terres du Domaine du Roy, impulsé par le clergé local, dont le fameux curé Hébert, prend forme pour aller s’installer au Lac-Saint-Jean.
Augustin Lizotte et Marie Anne Peltier se marient à Saint-Roch-des-Aulnaies le 14 novembre 1797. Leurs premiers enfants y naissent : Marie Anne Céleste en 1800 ; Marie Scholastique en 1805 ; Germain en 1808 ; Marie Henriette en 1810. Les deux derniers sont baptisés ailleurs, signe que la famille a commencé à se déplacer : Louis Maxime en 1812 à Saint-André de Kamouraska, Augustin fils à Berthierville en 1820.
Notons que l’orthographe du nom de famille se modifie aussi. Le père, Augustin, se marie à Saint-Roch sous le nom de Lizotte. Ses premiers enfants baptisés à Saint-Roch sont nommés Lisot. Le cinquième, Louis Maxime, baptisé à Saint-André, devient un Lizot. Et Augustin, son frère baptisé à Berthierville, Lyzot. François, vraisemblablement le dernier de la famille, serait né en 1811, à Sorel.
Ces modifications du nom vont continuer jusqu'à la fin du 19e siècle : à son décès à Sorel, Augustin père est devenu un Lisotte; ses enfants Germain et Henriette, mariés à Montréal en 1837 et 1840 sont des Lizote.
Tout ça n’est pas inhabituel : la plupart des gens dont le nom entrent dans les registres ne savent pas écrire, comme le notent les extraits de baptême, de mariage et de sépulture, pas plus que leurs témoins d’ailleurs, et bien souvent le curé officiant est la seule personne instruite du groupe. La formule usuelle « ne sachant signer » se retrouve dans une majorité d’actes officiels et l’orthographe des noms est laissé aux bons soins du prêtre et à ses connaissances.
Il semble que la famille d’Augustin Lizotte soit demeurée à Sorel pendant quelques années, mais pas au complet. Augustin y décède en 1831, quelques semaines après le mariage de son jeune frère François avec Marie Clément Lacouture. Cependant, deux de ses enfants, Germain et Henriette, se marient à Notre-Dame de Montréal (en 1837 et 1840, respectivement).
Maxime Lizote (notez l’orthographe) se marie avec Julie Cabana le 1er juin 1843, à Notre-Dame de Montréal lui aussi. L’acte de mariage note que sa mère est de la paroisse de Sorel. La famille de son épouse est de cette paroisse de Montréal. Le beau-père Guillaume Cabana est journalier ; il y a des chances qu’il travaille au port de Montréal tout près. Maxime, lui, déclare qu’il est « voyageur ».
Le premier enfant de Maxime et Julie, une fille prénommée Marie Julie, naît le 28 juillet 1843, moins de deux mois après le mariage. Et Maxime le père est absent au baptême. Naissent ensuite Marie Rachel Lizotte (1845), le père est encore absent ; Maxime-Léon Lisotte (1847) ; Antoine Adolphis Lizotte (1850) ; Onésime Lizotte (1851) ; Marie-Louise Lisotte (1855). Tous sont baptisés à Notre-Dame de Montréal, sauf Onésime qui sera baptisé à Joliette, où la famille réside en 1851.
On constate aussi en lisant cette liste de noms que les enfants de Maxime Lizotte ne s’appellent pas tous… Lizotte!
Mais le grand déplacement des Lizotte se poursuit vers l’Ouest du pays.
Maxime-Léon se marie à Roxborough en 1872, avec une Irlandaise de seconde génération au Canada, Elizabeth Jane Holland. Né à Montréal en 1847, il a alors 25 ans. On ne sait pas trop depuis quand il est rendu en Ontario, mais cette région connaît alors une bonne croissance économique liée à l’exploitation des forêts qui se développe dans la deuxième moitié du 19e siècle.
Le couple irlando-canadien-français aura une douzaine d’enfants qui porteront le patronyme Lizette, une autre forme du nom Lizotte. Le fils aîné, John Maxime Lizette, épousera en 1893 Cécile Gagnon, originaire du Lac-Saint-Jean et arrivée avec plusieurs membres de sa famille dans l’Est ontarien durant les années 1890.
John Maxime Lizette et Cécile Gagnon sont les parents de Blanche Ida Lizette, l’ancêtre du clan Lizette-Doré de Couchepagane, à Métabetchouan, Lac-Saint-Jean.