L’ancêtre amérindienne Cécile Kaorate
Son nom apparaît dans la lignée maternelle de ma grand-mère Blanche Lizotte dite Lisette lors de son mariage avec Jean-Baptiste Gagnon. Elle est la petite-fille de Nicolas Peltier dit Marolles, marié successivement avec trois Indiennes du Domaine du Roy entre 1675 et 1721. Selon toute vraisemblance, Cécile Kaorate est la fille de l'une ou l'autre de deux demies-soeurs Peltier, la première Marie-Jeanne, fille de l'innue Madeleine Teg8achik, et Marie-Josephte, fille de l'algonquine Françoise 8ebechinok8e ; et elle aurait été conçue avec l'un ou l'autre des deux frères montagnais Kaorate, Charles et Thomas. L'imbroglio à propos de ses géniteurs tient au fait que le système de parenté (et de tabous matrimoniaux, donc) chez les Montagnais et les autres groupes autochtones fut assez différent de celui des Français pour que les missionnaires y aient vu une source de « scandale », et à l’absence de sources écrites sur les mariages et les naissances chez les Indiens. L’historienne Russel Bouchard, qui est aussi un descendant de Cécile Kaorate et qui a cherché à identifier les père et mère de cette jeune femme plus sauvagesse que métisse, en arrive même à envisager qu'il y ait eu deux Cécile Kaorate, nées des unions de Marie-Jeanne et de Thomas et de Marie-Josèphe et de Charles ; ou que les deux sœurs aient partagé la couche des deux frères, toujours selon les règles familiales en vigueur chez les Sauvages du Domaine du Roy. (Russel Bouchard, Naissance d’une nouvelle humanité au coeur du Québec, 2013, pp. 159-162)
par MARC DORÉ
Cécile est née en 1722; elle s’est mariée à Jean-Baptiste Gagnon le 16 avril 1742, à Saint-Joachim. Elle avait 20 ans, lui 44; ils vivaient maritalement ensemble depuis deux ans et avaient déjà une fille, Charlotte. Selon certaines sources (le généalogiste Tanguay y fait allusion), Jean-Baptiste, dont la famille habitait à La Malbaie, était commis au poste de traite de Tadoussac, et donc en contact régulier avec les trappeurs amérindiens. Si Marie-Jeanne née en 1674 est la mère de Cécile, elle aurait eu 48 ans à la naissance de Cécile, ce qui est un exploit aujourd’hui, et qui aurait sans doute été un miracle à l’époque! La différence d’âge de Cécile avec Marie-Josephte née en 1697 est plus “normale”: 25 ans. Mais l’acte de mariage Cécile signé par le prêtre mentionne qu’elle est “montagnaise”, sans identifier ses parents, même si on sait que son père Kaorate était un Innu. Or si la mère de Marie-Jeanne est une Montagnaise, celle de Marie-Josephte est algonquine. Allez savoir dans ces conditions qui est la mère de qui!
Il y a là un mystère qui restera tel, conclut Russel Bouchard, mais aussi une certitude : Cécile Kaorate est la petite-fille de Nicolas Peltier, métisse plus indienne que blanche.
Et comme l'imposait alors le déroulement de l'histoire à ces êtres nés de la rencontre de deux civilisations, et face aux deux voies du « blanchiment » et de l'« ensauvagement », Cécile Kaorate réintégra la lignée française de son grand-père Peltier en épousant Jean-Baptiste Gagnon, en 1742. Quatre de leurs enfants ont eux-mêmes eu des enfants, dont Geneviève dite Javotte, l'ancêtre des Blackburn du Saguenay-Lac-Saint-Jean-Charlevoix par son mariage avec l’Écossais Hugh Blackburn ; et Augustin, ancêtre des Gagnon de Couchepagane-Métabetchouan.
Les gènes amérindiens de Cécile continuent ainsi de se diffuser parmi leurs descendants, dont la famille de sa petite-fille à la cinquième génération, Blanche Lizotte, fille de Cécile Gagnon et épouse de Héraclius Doré.
Il est intéressant de noter que le prénom de Cécile Kaorate est revenu dans la lignée familiale de ses descendants Gagnon : la mère de Blanche s’appelait Cécile, comme son arrière-arrière-grand-mère, et sa fille aînée, née en 1920 et toujours vivante, s’appelle Cécile aussi. Selon les souvenirs recueillis auprès des enfants de Blanche, l’existence d’une ancêtre métisse était connue ; le fait que la mère de Blanche portait le même prénom que Cécile Kaorate est peut-être une indication que ce souvenir avait assez de valeur pour revivre.
LA DISPARITION DES PEUPLES AUTOCHTONES
Les guerres indiennes, les guerres iroquoises en fait, auxquelles nous avons fait allusion plus avant ont été un événement majeur dans la Vallée du Saint-Laurent et le Domaine du Roy au XVIIe siècle. Conjuguées avec les épidémies amenées par les Européens, elles auront raison de populations entières : on évalue que 90 pour cent des autochtones seront purement et simplement rayés de la carte avant la fin des années 1600. Les groupes survivants, physiquement, socialement et culturellement désarticulés aussi par la traite des fourrures dans laquelle ils s’étaient lancés pour commercer avec les Européens, passeront proches de l’extinction et devront grandement leur survie au métissage avec les quelques Français et Écossais qui prendront épouses parmi eux aux XVIIe et XVIIIe siècles.
SOURCES
Victor Tremblay, Ici ont passé… Le monument du Coteau du Portage
Victor Tremblay, Le cas de Nicolas Peltier, in Saguenayensia, vol 7, no 2, mars-avril 1965, p. 26 ss.
Russel Bouchard, Otipemisiwak, Ils ont inventé l’Amérique, Chicoutimi, 2016
Russel Bouchard, Naissance d'une nouvelle humanité au coeur du Québec, Chicoutimi, 2013