L’histoire de Blanche : maîtresse de maison à 18 ans !
En 1919, Blanche est au Lac-Saint-Jean depuis quelques mois et partage son temps entre les familles de ses oncles Émilien Gagnon et Thomas Coulombe, à Couchepagane. La famille voisine est celle des Doré.
Les Doré habitaient le rang Sainte-Anne depuis quelques années ; ils sont arrivés là dans les années 1890, Éloi, troisième du nom, venant de Chambord où son grand-père et son père sont arrivés de Charlevoix vers 1878. Cette terre du rang Saint-Anne, c'est la première dont ils sont propriétaires au Lac-Saint-Jean.
En 1920, le chef de famille est la mère, Laure Villeneuve, veuve d’Éloi Doré, décédé en 1915 d'un "étranglement herniaire", à l’âge de 57 ans; leurs enfants vivent encore tous à la maison. Il n'est pas le chef de famille, ni propriétaire, mais c’est leur fils Héraclius qui cultive la terre. En se mariant avec lui, en janvier 1920, Blanche devient du même coup « la femme de la maison ». Car sa belle-mère Laure… « Madame Doré travaillait pu, racontera Blanche 68 ans plus tard… Elle avait juste 52 ans, mais elle travaillait plus. » Dans cette famille Doré, il n’y a que des garçons, ou presque. Blanche se retrouve avec sa belle-sœur Marie à s’occuper de 13 personnes : « Faire le lavage, faire cuire le pain… J’ai commencé à tout faire ça… J’avais jamais fait ça. »
par Marc Doré
Il ne faut pas oublier qu'elle a tout juste 18 ans, la petite Blanche, et qu'elle est anglophone dans un milieu totalement francophone. Rapidement, elle est enceinte : son premier bébé, Cécile, naîtra au mois de novembre 1920; et elle aura 15 autres enfants au cours des 23 années suivantes.
Chef de famille de facto, Héraclius cultive la terre, avec succès. C’était un bon cultivateur qui a gagné des prix d’excellence attribués par le gouvernement du Québec, le Mérite agricole. Mais il n’a jamais été propriétaire de cette terre, que la famille, toujours dirigée par la mère Laure Villeneuve, finit par perdre en septembre 1935. Blanche, Héraclius et leurs enfants doivent quitter la terre familial et déménager au village, littéralement jetés à la rue juste avant l’hiver : « Nous autres, 10 enfants dans le milieu du chemin, Angèle avait 40 jours », se rappellera Blanche. Angèle est née le 18 août 1935.
Il faudra attendre une dizaine d’années pour que Héraclius retrouve une terre ; cette fois, il est propriétaire dans le Rang 2 de Saint-Jérôme ; les six derniers enfants naîtront donc au village. Le couple Lizette-Doré finira d’élever sa famille sur cette terre, qui sera transmise éventuellement à son fils le plus vieux, Hubert, après le décès de Héraclius en 1955.
Blanche et ses enfants reviendront ensuite s’installer à Métabetchouan.
Les chansons de Blanche
Chanson que Blanche a interprétée pour une de ses petites-filles (Paule, fille de Paul-Émile) en septembre 2001, quelques mois avant son décès. Blanche prenait beaucoup de plaisir, durant ses dernières années, à parler anglais avec Paule et son mari André Bourque. When You and I Were Young, Maggie. On pourrait croire qu'il s'agit d'une chanson irlandaise apprise par Blanche durant son enfance dans sa famille irlando-canadienne-française de Moose Creek. En fait, il s'agit d'une chanson canadienne, ontarienne même. Les paroles sont de George Washington Johnson, un enseignant canadien de Hamilton qui écrivit en 1864 ce poème pour une de ses élèves dont il était amoureux, Margaret « Maggie » Clark. Ils se marièrent en 1864, mais la santé de Maggie se détériora et elle mourut le 12 mai 1865. Le compositeur américain d’origine anglaise James Austin Butterfield mis ce poème en musique en 1866, et la chanson devint rapidement populaire dans les familles où on jouait du piano. La chanson fut enregistrée la première fois en 1905 et a fait partie du répertoire d’une foule de chanteurs populaires dans les modes pop, country, blues et jazz. Dans les années 1980, la chanson fut interprétée par plusieurs chanteurs et groupes irlandais, ce qui a donné à penser qu’il s’agissait d’une chanson irlandaise. Les Écossais, qui l’utilisent, tentent eux aussi de se l’approprier.
Cette triste histoire est parfaitement dans le ton des chansons que les Irlandais ont amenées avec eux en Amérique. Blanche chantait aussi de vraies chansons irlandaises, comme Danny Boy, dont on a dit que c'est la chanson la plus triste jamais écrite, portée ici par la voix de la chanteuse américaine décédée Eva Cassidy.